Opere » Moi, l'inutile
da Moi, l'inutile
A ma mère
Je suis celui qu'on avait rêvé devant la défaite du
ciel. Celui que l'amour prolonge. Celui qui croit que sa souffrance
n'est plus qu'un visage froid oublié au fond d'un miroir. Je
suis un poète qui efface ses jours comme le maître
d'école efface du tableau noir les noms des astres.
Inutile aux hommes, presque gênant aux heures qui s'effeuillent
comme des gouttes de lune dans le vide. J'ai en moi tous les
rêves de ma mère, les vengeances de mon père. Je
monte des couches de la terre pour atteindre mes yeux et ciseler la
lumière où l'air achève ma forme et l'allonge dans
les souvenirs comme une ombre qui dévore un mur blanc cachant la
nuit.
Je suis celui qui était avant moi dans le vent et dans l'azur,
une âme pleine de chair, une âme rencontrant un corps
presque transparent et mesurant les battements de la terre avec des
lèvres noircies par le blasphème.
Je viens de loin et ma mère n'est plus qu'un poids de plume sur
ce monde qui expie sa transparence perdue dans l'espace et mon corps
d'homme ne connaît plus la trace d'aube restée dans ses
veines. Je suis venu parmi vous pour me taire car je suis peu de chose
à vos regards de victimes et j'ai pour axiome le silence. Mais
je sais que mes larmes sont des fleurs dans le vent, que mes soliloques
d'enfant sont des lacs dans les sphères, que mes sommeils ont
prolongé la bonté des anges. Je sais que ma parole
d'aujourd'hui reste le bruit d'une fontaine que la lune cache dans son
or et que mes caresses perdues sur vos visages dessinent d'autres azurs.
Je suis arrivé là où la chair s'est comprise et
où les yeux refoulent leurs pleurs pour ne pas alourdir toute
leur inutilité. Tous les paysages que j'ai inventés se
sont détruits dans mes cauchemars et j'attends un vide plus
clair pour modeler les formes que la terre cache pour notre dernier
dimanche. Un mot qui monte aux lèvres laisse un trou dans mon
âme où le silence s'ordonne.
Un geste qui dérange un rêve argenté le noir de ma
chambre. Je suis venu de loin pour être de trop parmi vous et
pour que votre fête soit troublée à chaque instant
par ma présence. Je prie pour vous et les arbres se plient
jusqu'à vos pieds froids sans s'effeuiller. Je regarde le soleil
et vos mains sont vite remplies de lumière et vous vous demandez
si je ne suis pas un dément. [...]
SEINE
A ma soeur
Eau nocturne eau paresseuse
En moi coule un désir :
La tendre volupté de dire
Ce que ma peine peut mûrir
Et c'est la nuit qui file
Sur tes ponts que l'oubli
Renverse dans les eaux
Pour n'être que lumière...
Calme désir d'être plus seul
Et n'écouter que l'ombre
Qui meurt sur mes doigts
Viendra le beau temps
Le ciel clair sur l'onde
Et mon cœur sera triste
Dans le matin nouveau
O Seine, épouse du silence
Que tes lampes bercent
Pour cette nuit glauque
Eployée sur ma tête
LA PLUIE
La pluie une légère main
Qui passe sur mes paupières
Dans l'air gris où pleurent les feuilles
Mouillées dans les rues plaintives
Où les arbres semblent meurtris
Devant les vitres voilées à peine
Par l'automne blessé de mes joies
La terre a des sanglots d'enfant
Et berce les herbes mortes
Dans les cours oubliées pleines
De chiffons tristes où sourient
Les cailloux avilis par les flaques d'eau
Un oiseau meurt dans ses plumes
Où goutte la pluie monotone
Qui perle des jardins engloutis par la brume
La pluie une légère main
Sur mon front à cette heure
Adoucie dans les bras du silence.